L'art de la fugue by Un livre Un film

L'art de la fugue by Un livre Un film

Auteur:Un livre Un film [film, Un livre Un]
La langue: fra
Format: epub
Tags: Roman
ISBN: 9782264038289
Publié: 1992-01-10T14:00:17+00:00


Chapitre 20

Il y eut un moment de cette deuxième semaine d’avril où le temps opta définitivement pour le pire et le printemps entreprit d’étrangler la côte est. Nous dûmes subir un climat hors saison que les spécialistes de la météo à la télévision qualifièrent, véritable euphémisme, de « tendance au réchauffement ». Je découvris qu’à condition de zapper à la minute précise, je pouvais attraper les prévisions météorologiques des trois chaînes locales. Un spécialiste particulièrement imbécile se surpassa en vantant sur le mode lyrique, sourire aux lèvres, ce qui n’était à l’évidence qu’une crise de l’environnement. L’attitude générale se résumait à « Sortons de notre trou et allons profiter du soleil ! ».

À mes yeux, les météorologistes de la télévision ont toujours appartenu à une espèce particulièrement insipide, avec leur manie de s’excuser pour chaque averse passagère, même en période de fortes pluies, et de supposer que tout le monde adore le soleil, ce gros cancérigène là-haut dans le ciel. J’appelai les chaînes télévisées pour me plaindre et, à ma grande surprise, obtins peu d’explications. L’un de mes interlocuteurs eut l’audace de me raconter que les normes, en matière de températures, sont calculées sur une moyenne de vingt-cinq années. Du jour où les températures de serre tropicale des années 80 seraient incluses dans la moyenne, la vague de chaleur que nous subissions alors n’aurait rien d’extraordinaire. « En d’autres termes, conclut-il joyeusement, nous avons en ce moment un temps parfaitement normal. »

Arthur installa les meubles sur le balcon-galerie du fond où nous prîmes désormais le petit déjeuner et le dîner quand il faisait particulièrement doux. Certain mardi matin, enveloppés par une brise tiède, nous buvions notre café en lisant les journaux selon notre procédure habituelle. Je résumais l’histoire récente d’un pasteur des faubourgs, sain, heureux en ménage, chrétien dévot et ouvertement conservateur, qui venait d’être arrêté pour avoir violenté des enfants. L’article étant d’une banalité affligeante, je m’efforçai de l’embellir moyennant quelques détails scabreux de mon invention. Levant les yeux vers Arthur au beau milieu d’une variation sur diverses galipettes dans la sacristie, je vis, à la faveur du soleil matinal, que les rares cheveux courant autour de ses tempes et au-dessus de ses oreilles étaient parsemés de gris. Je ne l’avais jamais remarqué. Le choc fut si brutal que j’en laissai tomber mon journal. La note argentée n’était nullement déplaisante, je dirais même qu’elle produisait un effet fort élégant. En réalité, je fus choqué de devoir constater qu’après tout, Arthur vieillissait de manière visible.

Il portait le chandail de coton que je lui avais acheté à New York en quittant l’hôtel de Tony. (Jeffrey et moi nous étant séparés en bons termes, aller chez Barney comme je l’avais prévu à l’origine ne s’imposait plus ; je m’étais contenté d’acheter, moyennant sept dollars, un « vrai Ralph Lauren » à un revendeur de Times Square.) Le chandail était d’un bleu éclatant qui paraissait absorber toutes les couleurs de son visage. En inspectant celui-ci de plus près, j’eus aussi l’impression que le menton s’affaissait légèrement.



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